L’article « Jules Ronjat, Maître de la linguistique occitane ! Marginalité et centralité de Jules Ronjat (1864-1925) » de Pierre Escudé peut être téléchargé ici dans son intégralité. En voici les premières lignes :
« Jules Ronjat, « maître de la linguistique occitane » (Chambon & Frýba-Reber 1996), reste étrangement marginal dans l’histoire de la linguistique, alors qu’il est l’auteur de la Grammaire istorique des parlers provençaux modernes (GIPPM, édition posthume, 1930-1941), plus importante somme jamais réalisée sur la langue occitane. La valeur de l’ouvrage a certes été repérée aussitôt par deux linguistes importants, Pierre Fouché dans la Revue des Langues Romanes et Antoine Meillet dans le Bulletin de la Société Linguistique de Paris tandis que l’un de ses directeurs de thèse, Mario Roques, fit un très neutre et rapide compte-rendu dans Romania. Cependant, l’ouvrage en lui-même comme son auteur ont vite été ensevelis dans la mémoire des disciplines pour lesquelles Jules Ronjat a œuvré toute sa vie : la linguistique et le Félibrige [1]. Les choix personnels et politiques de Jules Ronjat, « l’eretge absolut ! » selon l’historien Philippe Martel [2], expliquent en grande partie ce phénomène de marginalisation, et nous ne pourrons donc faire l’économie d’une courte biographie de l’homme pour en expliquer les causes.
Il n’en demeure pas moins que ses travaux, à commencer par les deux thèses de 1913 – Essai de syntaxe des parlers provençaux modernes (ESP) et Le Développement du langage observé chez un enfant bilingue (DLO) – jusqu’à la GIPPM font de lui un linguiste essentiel du domaine occitan comme plus largement de la linguistique européenne, ancré, là aussi marginalement mais intensément, dans une « école de Montpellier » du fait de sa très importante collaboration à la Revue des Langues Romanes (RLR) de 1904 à sa mort (6 articles et près de 250 comptes rendus) et son attachement aux travaux de Tourtoulon comme à ceux de Maurice Grammont auquel il fut lié.
[1] Ronjat n’apparait même pas dans l’index nominum de La Langue d’oc pour étendard. Les Félibres (1854-2002) de S. Calamel et D. Javel, Toulouse, Privat, 2002.
[2] (l’hérétique absolu !), cité par J. Thomas, Lingüistica e renaissentisme occitan, Institut d’Estudis Occitans, 2006, p. 150. Ronjat, dans un compte-rendu d’un ouvrage scientifique en langue allemande sur le francoprovençal, rappelle que Mistral le nommait « Juif errant du Félibrige », « en souvenir de [ses] randonnées pédestres et vélocipédiques de touriste et de dialectologue », cf. Revue des Langues Romanes, 1915, n°58, p. 335. Cette mention est riche d’enseignement : le Juif errant est à l’écart de la communauté endogène provençale, ou « nationale » dans le sens maurassien, comme le « randonneur » et « touriste » l’est de la communauté scientifique établie. »